Depuis le XXe siècle, les États-Unis entreprennent des efforts considérables pour lutter contre les drogues. Héritage des guerres de l’opium (1839-1860) et de la Prohibition (1920-1933), cette « guerre contre les drogues » (War on Drugs) touche particulièrement la communauté noire américaine depuis cinquante ans. Dans un contexte de la légalisation partielle de la consommation du cannabis aux États-Unis, la répression sévère que subit cette communauté soulève des questions. Ses membres sont arrêtés « quatre fois plus souvent que les personnes blanches, bien que la consommation de marijuana soit à peu près la même dans les deux groupes » déplore la nouvelle marque de Ben Cohen, Ben’s Best Blnz.
Le fondateur de la marque de crème glacées Ben & Jerry vient de dévoiler le fruit d’une collaboration avec le studio de design Pentagram. Les « meilleurs joints de Ben » constituent une organisation à but non-lucratif qui propose à la vente un ensemble de consommables au cannabis. Elle promet de réinvestir 100 % de ses bénéfices « dans la communauté noire du cannabis et dans des groupes militant pour une réforme de la justice pénale » explique le studio de design. Elle s’est confié la mission suivante : « vendre de la bonne herbe et d’utiliser le pouvoir de notre entreprise pour réparer les erreurs de la guerre contre la drogue ». Concrètement, elle milite pour la décarcération des personnes condamnées pour des délits non-violents liés au cannabis, la suppression des casiers judiciaires des personnes qui ont purgé leur peine ainsi que le retrait du cannabis du Schedule 1, la plus haute classification en matière de dangerosité de drogues selon la loi Controlled Substances Actives (CSA) signé par le président Richard Nixon en 1970.
Fort de ce positionnement militant, Eddie Opara et son équipe, de Pentagram, ont imaginé un langage visuel qui se démarque de l’univers du cannabis tout en reflétant l’activisme de B3 (comprendre Ben’s Best Blnz). Aussi, la conception de cette identité devait répondre à un certain nombre de réglementations de sécurité spécifiques régissant le marketing et l’emballage du cannabis.
Le premier choix de l’équipe a été de s’écarter des poncifs qui orbitent autour de l’univers du cannabis — les feuilles vertes, les plants de marijuana, la couleur verte. Certes, c’est le minimum attendu lorsque l’on fait appel au studio design ayant la plus grande renommée internationale. En remontant à la racine du message de protestation, on retrouve à sa racine une approche typographique, point de départ de l’équipe de conception. Une famille de cinq polices de caractère a été choisie pour imaginer une identité centrée sur des compositions typographiques expressives. Principalement issues de la Vocal Type Foundry, fondée par le designer de caractère noir-américain Tré Seals, ces polices mettent en valeur des éléments de l’histoire d’une minorité ethnique ou de genre, et couvrent un spectre large de cause militante, allant du Mouvement des droits civiques aux États-Unis (les polices Martin et Bayard) au Mouvement pour le suffrage des femmes en Argentine (la famille de polices Eva, avec les variantes Eva Maria et Eva Peron). Les textes de soutien sont composés en Halyard, créé par le designer de caractère noir-américain Joshua Darden. À la manière de calligrammes abstraits, les messages de revendications sont donc disposés un peu partout sur les packagings, en cohérence avec l’effet procuré par les produits : stimulation, concentration, coup de fouet, sommeil, 7e ciel.
Le logo est, lui aussi, dans un caractère typographique rétro, évoquant les enseignes commerciales des années 1970. Ses futs disproportionnés donnent l’impression que le nom glisse ou s’élance en avant. Les trois mots superposés accentuent la sonorité singulière du nom, qui devrait donner du fil à retordre à tous ceux qui ont des difficultés d’élocution. Cela explique sûrement le surnom autoproclamé de la marque : B3. Ce logo serait véritablement identifiant, et agréable à regarder, s’il n’était pas noyé sous une masse d’informations textuelles qui recouvre les emballages. Voilà un parti-pris clivant : additionner les messages dans tous les sens sous couvert d’une volonté de redécouverte des contenants à chaque réemploi. L’idée n’est pas dénuée de bon sens, mais dans la pratique elle se révèle très peu lisible. Le logo s’en trouve donc dissimulé, dans un ensemble de texte de toute forme et de toute taille, sans véritable hiérarchie de contenu.
Pour couronner le tout, certaines gammes de produit de B3 affichent en fond des œuvres picturales conçues par des artistes noirs. Eddie Opara, responsable de l’équipe de conception, est aussi à l’origine de l’une des œuvres : un collage photographique représentant le profil d’un homme noir vêtu d’une combinaison d’incarcération orange, dont le visage et les cheveux sont construits à partir d’images de fleurs. L’œuvre présente des types de fleurs spécifiques qui représentent la vérité, la liberté, le chagrin et le pardon. La seconde œuvre provient de l’esprit de Dana Robinson, une autre artiste afro-américaine. L’œuvre de Robinson suit la démarche de sa série Ebony Reprinted, dans laquelle les publicités et l’imagerie tirées du magazine Ebony sont traduites en monographies badigeonnées, pressées et texturées qui « éliminent l’intention originale de ce langage visuel intrinsèquement blanc, capitaliste et commercial » précise l’équipe de Pentagram. Dans le cadre de la commande, l’équipe de conception a sélectionné une publicité d’Ebony située dans un salon de crème glacée (un clin d’œil à Cohen). Ces œuvres viennent apporter de la complexité dans une identité visuelle déjà riche.
La palette chromatique comprend un ensemble large de couleurs vibrantes, chaudes et rabattues jouant encore une fois avec un aspect rétro. Dans une démarche écoresponsable, Pentagram a travaillé en étroite collaboration avec Cohen sur le développement d’emballages recyclables tels que l’étain, le verre, le métal et le carton.
Bien que la lutte contre les discriminations envers une minorité est un engagement louable qu’il faut continuer de soutenir, la réponse de design portée par Pentagram interroge dans sa traduction graphique. L’identité de marque de Ben’s best Blnz est effectivement singulière et puise dans l’Histoire des luttes contre les discriminations raciales ou de genre pour continuer à défendre les droits des personnes victimes d’oppression. Seulement, la richesse du langage visuel développé constitue un frein à la lecture claire de la nature des produits proposés, mais aussi des messages portés par la marque.
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