Changements de logos

To love or not to love…

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La pandémie de Covid-19 a eu des conséquences économiques importantes sur de nombreuses villes du monde entier, y compris New York. Les mois où la ville était l’épicentre de l’épidémie ont été particulièrement difficiles, avec des fermetures d’entreprises, des pertes d’emplois et une baisse générale de l’activité économique. Ces difficultés ont rappelé aux New-Yorkais la crise financière des années 1970, une période difficile de l’histoire de la ville.

La ville et l’État de New York ont donc lancé We ❤️ NYC, une campagne visant à « mettre en valeur les atouts de la ville et à mobiliser les New-Yorkais pour qu’elle reste la plus grande ville du monde ». La campagne met en avant les atouts de la ville, son dynamisme culturel, son héritage historique, ses espaces verts, sa diversité et sa résilience. Elle encourage également les New-Yorkais à découvrir de nouveaux quartiers et à soutenir les entreprises locales, afin de contribuer à la reprise économique de la ville après la pandémie. En somme, la campagne « We ❤️ NYC », menée par Found3rs représente un appel à l’espoir et à la renaissance, dans un contexte difficile pour la ville et ses habitants. Elle incite les New-Yorkais à se rassembler autour d’un objectif commun, celui de reconstruire leur ville et de la rendre plus forte et plus résiliente que jamais.

Maryam Banikarim, responsable du marketing, et d’autres responsables de la campagne ont demandé au département du développement économique de New York (Empire State Development), propriétaire de la marque « I ❤️ NY » – l’autorisation de modifier la conception du logo. Ils ont décidé de remplacer le « I » par un « We » et d’axer la campagne exclusivement sur NYC. Banikarim a expliqué en interview que le nouveau logo sera(ait) destiné à cohabiter avec l’original emblématique et à s’adresser spécifiquement à la ville. Premier doute…

L’original : I❤️NY

Slogan officiel de l’État de New York depuis 1977, I Love New York (stylisé I ❤️ NY) est aussi un logo et une chanson qui constituent la base d’une campagne publicitaire développée pour promouvoir le tourisme dans l’État de New York, y compris la ville de New York.

Le logo original « I❤️NY » conçu par le graphiste Milton Glaser en 1976 à l’arrière d’un taxi et griffonné au dos d’une enveloppe a fonctionné et fonctionne magnifiquement parce que ce symbole du cœur a agi comme une synecdoque hâtive de l’amour. Ce qui, à une époque pré-emoji où de tels rébus étaient plus rares qu’ils ne le sont aujourd’hui, était un trait de génie… La bonne idée. En compactant ainsi son amour à sa ville en un seul symbole, Glaser a réussi à capturer l’essence même de la ville. Il devenait un prolongement de l’âme de New-York. Ce logo simple mais puissant a rapidement capturé l’imagination des gens et est devenu un élément clé de la campagne publicitaire pour promouvoir le tourisme dans l’État de New York. Le dessin original est conservé au Musée d’art moderne de Manhattan, où il est devenu une pièce d’art iconique. Aujourd’hui, « I Love New York » est toujours utilisé comme slogan officiel de l’État de New York et est largement reconnu comme un symbole de l’amour et de la fierté pour la ville et l’État.

2023 – We❤️NY

Au cœur de cette campagne se trouve donc une nouvelle – et malheureusement abominable – interprétation du célèbre logo I❤️NY. Le logo est complété par la police de caractères New York Line, le designer Graham Clifford s’étant inspiré de la typographie utilisée par la Metropolitan Transportation Authority pour la signalisation du métro. Ce logo est en fait la même idée que celui de Milton Glaser, légèrement (trop) modifiée.

Ce logo est-il réussi ? Sans doute non ! Du logo à la typographie en passant par la rédaction – individuellement en tant qu’actifs et collectivement en tant que campagne – il s’agit peut-être de l’une des expressions marketing les plus mal conçues et les plus mal pensées depuis un certain temps. Sans s’attarder sur le signe traité en émoji, volonté affichée de l’agence. Sans parler des assets déployés avec ce We♥️ à toutes les sauces, frisant le mauvais goût jusqu’à l’indigestion.

Si vous choisissez de « remixer » un logo emblématique comme celui-ci, vous devez savoir que vous invitez à la comparaison. La version de Milton Glaser est littéralement l’une des marques les plus emblématiques jamais créées. Qui a pensé qu’essayer de la revisiter serait une bonne idée ? La décision est discutable. Qu’est-ce qui a pu motiver une telle décision ? Être plus visible, plus beau que cette déclaration d’amour de Milton Glaser à la ville qui l’a vu naître et grandir, rayonner et mourir. Quand Milton Glaser design « I♥️NY », c’est bien d’amour dont on parle, d’un attachement profond, peut-être viscéral. Et débarque aujourd’hui ce « We ». Qui est-il ? Nous qui ? Les touristes ? Les New-Yorkais ? Les commanditaires ? – On pourrait ici (s’)interroger sur un possible manque d’humilité du commanditaire, ou d’une probable vision politisée d’une période trouble et pesante.

Pourquoi ce « We » ?
Dans une ère frénétique de « Me too », de Wok culture, de lissage de l’identité individuelle au profit d’un regroupement inclusif ou l’identité de chacun se doit de disparaître dans celle de tribus, de bien-pensance, d’uniformisation, de gommage de l’individu, le « je » doit-il disparaître ? Car au-delà de la qualité visuelle du logotype se cache un (en)jeu sémantique et sociologique plus surprenant que ce remix graphique. Un « We » auquel les New-Yorkais ne semblent pas adhérer, jugeant que c’est un échec, voire une insulte parce qu’au lieu de résumer une émotion, il rabâche une image. 

La nouvelle identité n’emporte pas les suffrages et essuie les pires critiques dans la presse « New York City’s new logo fails because, instead of summing up an emotion, it belabors an image » — The New Yorker, sur les réseaux sociaux “The original looks like the voice of a city. The new one looks like the voice of an investment bank or possibly a healthcare provider », «this sucks on every conceivable level and also on some levels that exist beyond human perception. » (commentaires sur Twitter), mais également de célèbres designers « Ce n’est pas personnel. Je ne sais pas qui a conçu ce projet et je m’en moque. Je n’avais jamais entendu ce nom avant que vous ne le publiiez. Je suis sûr que c’est un mec cool et qu’on s’amuserait bien autour d’un verre. Mais ce logo est objectivement mauvais. Ce n’est pas la fin du monde – j’ai aussi fait du mauvais travail dans ma vie. Mais en tant que designers, nous avons littéralement des critiques de design dans le but exprès de décortiquer nos propres créations. Nous apprécions la critique parce qu’elle nous permet d’améliorer nos créations. Ce travail appelle la critique. » – David Carson. L’artiste visuel Dewey Saunders, basé à Los Angeles, a répondu que le logo était « littéralement le pire design que j’ai jamais, jamais vu »… l’écrivain et journaliste David Colon « C’est le premier jour du printemps et tout le monde à New York se réunit pour jeter des ordures sur le logo WE NYC HEART comme s’il s’agissait du Bouffon vert« .

L’objectif a peut-être été atteint : unir les New-Yorkais contre cette campagne et sa nouvelle identité 💔

Et les détournements ironiques sont déjà légion !

Milton Glaser, designer émérite (1929-2020)

Milton Glaser a profondément marqué l’histoire de New York et du monde du design graphique. Il est reconnu comme le designer ayant façonné l’identité visuelle de la culture populaire des années 1960 à 1970. Après avoir étudié dans la prestigieuse école Cooper Union for the Advancement of Science and Art, il fonde par la suite le studio Pushpin en 1954 avec Reynold Ruffins, Seymour Chwast, et Edward Sore. Il a dirigé pendant vingt ans le studio avec Chwast, direction sous laquelle le studio a entrepris de nombreux travaux d’influence majeure dans le monde du design graphique. Il étend son influence en 1968 en co-créant avec Clayton Felker le New York Magazine, un journal portant sur l’art et la culture dont Glaser sera le président et directeur pendant neuf années prospères.


C’est en 1974 qu’il érige un studio de design à son nom, Milton Glaser, Inc., ancré à Manhattan, où sa pratique s’inscrira dans un large éventail de discipline du design. En design graphique appliqué aux médias imprimés, le studio conçoit des identités de marque pour des entreprises ou des institutions culturelles. Dans le domaine design d’intérieur, Milton Glaser, Inc. a imaginé et supervisé la fabrication de nombreux produits, expositions, intérieurs et extérieurs de restaurants, de centres commerciaux, de supermarchés, d’hôtels et autres environnements retail. Glaser est aussi personnellement responsable de la conception et de l’illustration de plus de 300 affiches pour des clients dans les domaines de l’édition, de la musique, du théâtre, du cinéma, des entreprises institutionnelles et civiques, ainsi que pour des produits et services commerciaux.

En parallèle, Glaser s’associe en 1983 avec Walter Bernard pour fonder WBMG à New York, une société de design éditorial à l’origine de la maquette graphique de plus de cinquante revues, journaux et magazines à travers le monde entier. WBMG a notamment dirigé la refonte du Washington Post aux États-Unis, La Vanguardia à Barcelone et O Globo à Rio de Janeiro. En France, elle est responsable de la refonte de l’Express, du Jardin des Modes, et du magazine Lire. Des États-Unis au Japon, en passant par le Canada, le Brésil ou l’Italie, la vision WBMG n’a connu aucune frontière.

Milton Glaser est aujourd’hui l’un des designers graphiques les plus célèbres des États-Unis. Son œuvre est régulièrement à l’affiche d’expositions dans le monde entier ; dont les plus notables sont deux expositions éponymes au Centre Pompidou de paris et au MoMA de New York. En l’honneur de son travail et de son engagement dans la communauté éducative, Glaser a été récompensé par de nombreux prix. Le Musée Cooper-Hewitt, Smithsonian Design Museum, lui a décerné en 2004 le prix d’excellence pour l’ensemble de sa carrière, pour sa contribution profonde et significative à la pratique contemporaine du design. Milton Glaser est membre du Panthéon de l’Art Director’s Club et de l’American Institute of Graphic Arts (AIGA).


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