Présentes à chaque coin de rue, les enseignes de presse font partie intégrante du paysage urbain français. Leur jaune caractéristique et leur forme rectangulaire en font des marqueurs visuels familiers, quasi patrimoniaux. Parmi quarante propositions, c’est celle commune de Julie Soudanne (Jli Type Studio), Studio double (Pauline Vialatte de Pémille et Agathe Joubert) et Jacques Averna qui a été retenue. Une intervention qui vise à concilier exigences contemporaines et respect de l’identité d’origine.


Un lettrage sculpté, entre lisibilité et présence
Le nouveau lettrage, découpée dans le métal, se veut géométrique, structurée et lisible. Il est directement inspirée de l’histoire de la presse écrite ainsi que des grands titres des quotidiens nationaux. L’ajourage des lettres permet un jeu subtil d’ombres et de lumière, renforcé par les conditions d’éclairage ambiant. Cette approche donne à l’enseigne une forme de présence plus sculpturale, loin du traitement plus standardisé de l’ancienne version.
Cette typographie affirme une identité plus marquée, dans un esprit où le lettrage devient un véritable composant visuel à part entière, assumant son rôle dans la construction de l’espace et non plus seulement dans la transmission d’un message.

Un emblème du quotidien, repensé pour demain
Le bloc principal, rectangulaire, est accompagné d’une large courbe métallique grise qui rompt la rigidité de l’ensemble. Cette courbe reprend les contours de la plume figurant dans l’ancienne signalétique — un détail qui évoque l’écriture et le journalisme, tout en étant ici réinterprété de manière plus abstraite.
Cette épuration du motif illustre une volonté de continuité plutôt que de rupture, en extrayant une essence formelle plus universelle que figurative. Le résultat, volontairement plus minimaliste, laisse place à une lecture davantage architecturale que narrative.


Une couleur signature, conservée mais retravaillée
Le jaune, couleur historiquement associée à la presse, est conservé. Il gagne légèrement en saturation et se marie à une finition mate, cherchant un contraste avec le gris métallique du reste de l’enseigne. Le choix de matériaux robustes, ainsi qu’une finition pensée pour durer, inscrit l’objet dans une logique de durabilité, aujourd’hui incontournable dans le mobilier urbain.


Une enseigne pensée pour la lumière
L’ajout d’un éclairage LED intégré permet à la nouvelle enseigne de maintenir sa lisibilité de nuit tout en renforçant sa dimension visuelle. Contrairement à un simple rétroéclairage, la lumière joue ici un rôle plastique : elle souligne les découpes, suit les volumes, accompagne la forme plutôt qu’elle ne l’écrase. Ce traitement se veut être pour une meilleure intégration à l’environnement urbain nocturne, tout en assurant une continuité d’usage. Une attention au détail qui aligne cette nouvelle version avec les standards actuels en matière de design environnemental.



Un redesign qui divise la communauté
Depuis sa présentation, le nouveau design des enseignes « Presse » a généré un flot de réactions vives sur les réseaux sociaux. Au-delà du simple débat esthétique, c’est une question de mémoire collective et de symbolique urbaine qui semble toucher une corde sensible.
Parmi les critiques les plus partagées, le directeur artistique Christophe P. s’interroge ouvertement sur la lisibilité et le coût de cette refonte, qualifiant le projet de « moins visible et plus cher », tout en appelant à une réflexion patrimoniale : « Pourquoi ne pas envisager une brocante nationale, ou une réutilisation culturelle des 22 800 anciennes enseignes ? ».
d’autres questionnent le processus décisionnel plus que le design lui-même : « Ce n’est pas la réponse créative qui pose problème, mais le choix du commanditaire. Certains décideurs, avec une culture de l’identité visuelle proche de zéro, tranchent sur des projets d’envergure avec pour seul argument : “j’aime pas”. »
Dans ce contexte tendu, le designer Yorgo Tloupas a pris la parole via une vidéo publiée sur Instagram, dans laquelle il partage son incompréhension face à certains choix graphiques, insistant sur l’importance des symboles familiers dans le paysage français, les comparant aux croix de pharmacie ou aux carottes de tabac : « C’est comme si on remplaçait la tour Eiffel par un oriflamme. Ça plairait moyen. ». Dans une proposition alternative développée par son studio Yorgo&Co, Tloupas avait soumis au ministère un projet plus fidèle à l’identité historique. Le directeur artistique Franck Valayer a publié un post remarqué sur LinkedIn, saluant la prise de parole de Jacques Averna, le designer du projet, tout en regrettant qu’il ait dû en arriver là : « Triste, parce qu’un professionnel talentueux et consciencieux est contraint de justifier publiquement chaque choix créatif, technique et pratique face à une vague de critiques parfois virulentes et injustes. ». Il rappelle que derrière chaque objet signalétique se cachent des enjeux complexes – contraintes techniques, budgétaires, écologiques ou encore urbanistiques – trop souvent ignorés dans les discussions publiques.
Ces échanges témoignent d’un clivage entre les attentes du public, parfois purement émotionnelles, et la réalité du métier de designer, fait de compromis invisibles. Le débat révèle également un besoin profond : mieux faire connaître le rôle et la complexité du design dans l’espace public.



Ce redesign proposé par Jacques Averna s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’un mobilier urbain repensé à l’aune des enjeux contemporains — esthétiques, pratiques, environnementaux. Mais dès qu’il touche à des objets emblématiques, il ne peut éviter les controverses.Reste à voir si cette nouvelle version s’imposera dans le paysage urbain, ou si elle rejoindra les nombreuses propositions restées à l’état d’intention. Dans tous les cas, elle relance une réflexion essentielle : que veut-on dire, aujourd’hui, à travers les objets qui balisent notre quotidien ?
Conception : Jacques Averna, Studio Double
Typographie : Julie Soudanne
Photos © Jacques Averna ©Studio Double